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« Les effets de la lutte contre le terrorisme et la radicalisation sur les discriminations en France »

1er octobre 2018 dans dans Discriminations

Communiqué de presse

Pour la première fois, une enquête universitaire donne une mesure chiffrée de l’impact des politiques antiterroristes sur les musulmans en France.

Si trois quarts des personnes se déclarant comme « musulmanes » disent se sentir visées par les politiques antiterroristes en tant que communauté, ils gardent malgré cela confiance dans les institutions de l’État. Cependant, 58 % des musulmans interrogés disent avoir été victimes de discrimination (au travail, à l’école, dans la rue) au cours des cinq dernières années (contre 27 % pour les non-musulmans). Le fait d’avoir vécu une expérience de discrimination lors des cinq dernières années est le facteur qui détermine le plus la perte de confiance dans les institutions, et si les mesures antiterroristes sont vécues de façon discriminatoire.

Paris, le 1er octobre 2018 – Une étude menée conjointement par des chercheurs de l’Université de Leiden (Pays-Bas), de l’École Normale Supérieure (Paris), de l’Université de Genève et du Centre d’Etudes sur les Conflits (Paris), présente pour la première fois des données chiffrées sur l’impact des politiques antiterroristes sur les populations musulmanes en France (voir méthodologie en fin de communiqué). Cette étude a été financée par la fondation Open Society Initiative for Europe (OSIFE).

Le sentiment de discrimination en général. Les musulmans se sentent discriminés dans tous les domaines couverts par l’enquête (santé, école, logement, police, emploi, vie quotidienne) et cela d’une façon bien plus importante que le reste de la population : 2 fois plus lors d’une recherche de logement ; 3 fois plus à l’école ; 5 fois plus lors d’interactions avec la police. Les musulmans font cependant, dans l’ensemble, autant confiance que le reste des Français dans les institutions de l’État et de la société française (armée, sécurité sociale, école, mairie, justice, etc.).

Le vécu individuel. Dans l’ensemble, les musulmans se sentent exposés à l’anti-terrorisme (forces de l’ordre) et à la lutte contre la radicalisation (éducateurs, travailleurs sociaux) autant que l’ensemble des Français. Un grand nombre de répondants musulmans se sentent cependant discriminés par l’antiterrorisme : ils déclarent se sentir choisis de façon délibérée dans les interactions avec des agents publics en matière d’antiterrorisme, le plus souvent à cause de leur origine ou leur couleur de peau (2 fois plus que le groupe de contrôle), ou leur religion (10 fois plus).

Les perceptions collectives. Comme les répondants non-musulmans, les répondants musulmans considèrent dans leur majorité que l’antiterrorisme empiète peu sur leur vie privée. Ce sentiment est légèrement plus présent chez les jeunes. Deux tiers des musulmans et trois quarts des répondants du groupe de contrôle estiment en revanche que l’anti-terrorisme vise certains groupes en priorité. Les musulmans sont deux fois plus nombreux que les non-musulmans à trouver que ce ciblage n’est pas justifié.

L’impact sur la vie quotidienne. L’impact le plus important considère la liberté d’expression et le rapport aux médias : plus d’un tiers des musulmans (38,5 %) déclare ne plus lire ou regarder certains médias à cause de leur façon de parler des musulmans. Cela concerne les jeunes en particulier (41,9 %). Ce chiffre augmente encore (43,7 %) lorsqu’il s’agit du traitement médiatique des questions de terrorisme. Par ailleurs, 41,7 % des musulmans entre 45-64 ans déclarent demander à leurs enfants de « faire attention à ce qu’ils disent à l’école », pour éviter d’être discriminés et environ un musulman sur trois dit « éviter de dire ce qu’il/elle pense » sur les sujets controversés de politique étrangère (30,6 %) ou de société (30,5 %).

L’expérience de la discrimination au cœur du problème. Le fait d’avoir été discriminé au cours des 5 dernières années fait systématiquement varier négativement les scores de confiance dans les institutions : plus une personne a été discriminée, moins elle a de confiance dans les institutions – toutes institutions confondues. Ce n’est pas l’âge, la catégorie socio-professionnelle, le genre ou la religion qui font varier la confiance de manière significative, mais le fait d’avoir été discriminé. Par ailleurs, le fait d’avoir subi une discrimination au cours des 5 dernières années est le principal facteur explicatif de l’impact de l’anti-terrorisme sur la vie quotidienne. En ayant vécu davantage de discriminations, les musulmans sont par conséquent plus susceptibles de vivre négativement leur contact avec les acteurs de l’anti-terrorisme.

Le rapport conclut sur des recommandations : (1) S’attaquer aux discriminations est une priorité pour ne pas dilapider le « capital de confiance » des musulmans en France ; (2) S’attaquer aux discriminations est une priorité pour asseoir la légitimité d’une action antiterroriste respectueuse des libertés ; (3) Améliorer le traitement et la procédure de sélection lors des interactions avec les forces de l’ordre doit devenir une priorité ; (4) Améliorer le traitement médiatique des questions liées à l’Islam et au terrorisme doit être un sujet de réflexion.

Méthodologie. L’enquête a été conduite auprès d’un échantillon de 8 300 personnes, d’où a été tiré un sous-échantillon de 426 personnes s’identifiant elles-mêmes comme « musulmanes » et d’un groupe de contrôle représentatif de la population française non-musulmane de 501 répondants.

Contacts médias :

  • Francesco Ragazzi (Direction scientifique de l’enquête), maître de conférences à l’Université de Leiden (Pays-Bas) et chercheur associé au Centre d’Études sur les Conflits (Paris). Contact : f.ragazzi@fsw.leidenuniv.nl
  • Stephan Davidshofer, chercheur, Global Studies Institute, Université de Genève
    Contact : stephan.davidshofer@unige.ch
  • Sarah Perret, chercheuse postdoctorale. Chaire de Géopolitique du risque, École Normale Supérieure Contact : sarah.caroline.perret@ens.fr