Accueil » Actualités » #AssoTech93 : la lutte contre les discriminations passe aussi par le numérique

#AssoTech93 : la lutte contre les discriminations passe aussi par le numérique

20 avril 2018 dans dans Libertés associatives

La seconde rencontre AssoTech, baptisée #Assotech93, réunissant des militants de Seine-Saint-Denis contre les discriminations et des acteurs du numérique citoyen s’est tenue samedi 14 avril aux Magasins Généraux à Pantin.

Une trentaine de personnes, des discussions souvent passionnantes, des ateliers autour des bonnes pratiques en matière d’usage des outils numériques pour renforcer les luttes contre les discriminations et les inégalités, la rencontre #AssoTech93 a été réussie au bonheur de VoxPublic, Citizens for Europe, Eclore et Le MediaLab93, organisateurs de la rencontre.

Construire sa légitimité sur internet

Devant une assistance largement féminine, ce sont quatre femmes qui ont lancé la journée en « pitchant » leur initiatives innovantes s’appuyant sur des outils numériques.

Tout d’abord, Nadia Henni-Moulaï, journaliste et fondatrice du média www.MeltingBook.com. En 2011, quand Nadia fonde ce média inédit, elle a une idée en tête : «  repérer et valoriser les profils issus de cette France dite de la diversité ». Désormais reconnue journaliste à part entière, elle revendique le «  slow-journalisme  » et «  refuse de surfer sur les polémiques qui vivent pour le buzz  », encourageant les participants à développer une approche qualitative dans leur communication.

Plus tard dans la matinée, discutant des stratégies pour construire la légitimité du discours associatif sur le net, Wael Sghaier du Médialab 93 rappelait aussi qu’ «  il ne faut pas communiquer avec frénésie pour avoir un impact mais poster des choses de qualité auxquelles la communauté sera attentive. » Les associations devant ainsi prendre le soin de bien établir une différenciation entre leur communication interne, à l’attention de leur sympathisants, et externe à l’attention de publics cibles qu’elles souhaitent atteindre.

Les trois piliers de ces stratégies ont été explicités ensuite : assurer sa visibilité (choix des réseaux sociaux, choix des formats), développer sa crédibilité (choix des contenus, d’une ligne éditoriale) et asseoir sa légitimité (communiquer sur les sujets liés à l’objet de l’asso). Puis ce fut une présentation des outils de travail collaboratifs développés par Framasoft (voir la liste sur dégooglisons-internet.org) pour faire travailler les militants de manière collective ou de collecter des informations (données).

« Construire sa légitimité », résumé dessiné de la discussion par Léa d’Eclore

Le site internet, une vitrine désormais accessible

Lætitia Nonone a présenté l’association Zonzon93 qui vise à «  prévenir de la délinquance en développant le pouvoir d’agir des jeunes  », à faire du lien également avec les personnes privées de liberté et favoriser leur réinsertion. Très ancrée sur le terrain, l’association n’a pas de site internet mais fait reposer toute sa communication sur les réseaux sociaux pour mieux toucher le public jeune. Pour Lætitia, « si le numérique est une fenêtre sur le monde pour ceux qui ne peuvent sortir de nos territoires, il doit aussi permettre aux jeunes des quartiers de raconter leurs propres récits et de projeter leurs paroles hors de ces quartiers.  »

Laetitia Nonone de Zonzon93

A cette occasion, Erika Campelo de VoxPublic avertissait : «  Il faut garder à l’esprit que toutes nos communications peuvent disparaître du jour au lendemain si le réseau social décide de fermer le robinet ou suspendre un compte. Un site internet reste donc indispensable pour servir de vitrine comme pour archiver les communications, les actions, etc.  » Aujourd’hui, il n’y a plus nécessairement besoin d’avoir recours à des webmasters ou d’avoir un important budget pour développer un site internet. «  Par exemple, la plateforme SPIP, basé sur l’opensource, permet d’avoir un site internet rapide à créer et facile à gérer, à peu de frais, tout comme d’autres plateformes privées qui sont très intuitives à l’usage et permettent de créer un site en quelques heures » concluait Erika, habituée à aider les associations appuyées par VoxPublic à réaliser des sites web.

Enfin, Valentine Guillien, responsable territoriale Seine-Saint-Denis pour l’école Simplon.co de formation aux métiers du numérique, a présenté leur ambitieux programme de formation au code de personnes défavorisées (60 % des apprenants ont un niveau bac ou en-dessous). «  Faire du code est accessible à tout le monde , nous sommes dans une pédagogie active du Faire qui passe par le développement de projets en collectif, on favorise le collaboratif  » disait-elle en résumant la philosophie de l’école.

En finir avec le cyber-harcèlement contre les militants de la diversité

Sihem Zine, présidente de l’association Action Droits des Musulmans allait par sa présentation ouvrir une discussion passionnante sur le cyber-harcèlement et la lutte contre le racisme sur les réseaux sociaux :

« Il est important pour les associations de former et d’organiser leurs militants pour se défendre, notamment face à des groupes malveillants qui chassent en meute. Il y a des dispositifs de lutte contre le harcèlement sur internet qui ont été mis en place, mais les réseaux sociaux ne sont pas prêts à être régulés. Face aux discriminations et aux paroles racistes, il ne faut pas laisser faire, il faut reposer les limites, de manière graduée, mais sans hésiter à aller devant la justice si cela est nécessaire. Il faut en finir avec l’impunité de l’anonymat, devant un juge les trolls se font tout petit. Contre-attaquer et dénoncer, c’est sortir de la victimisation ! »

(voir ici les conseils de la CNIL)

« Nous, associations, nous n’arrivons pas à nous mettre d’accord soit pour décliner des campagnes d’information et de sensibilisation, soit mettre le doigt sur une info sensible, ou encore répondre à des attaques ciblant certains de nos partenaires » ajoutait Lila Charef du CCIF. Les participant.e.s s’accordaient sur la nécessité de mieux se coordonner pour venir en soutien aux militant.e.s de la diversité pris pour cible sur les réseaux sociaux, afin de ne pas les laisser isolé.e.s mais aussi de montrer que la réponse peut être collective.

Pour Christophe de Globenet, une association militant pour la liberté d’expression et proposant des services internet : « les grandes plateformes comme Facebook et Twitter n’apporteront pas de réponse au cyber-harcèlement. Les associations devraient se tourner vers des plateformes libres, comme http://mastodontes.social » Cependant, face à la tentation de la désertion, les participant.e.s s’accordaient à dire qu’une bataille d’opinion se joue sur internet et qu’il ne faudrait pas abandonner le champ de bataille des réseaux sociaux à la fachosphère. Si certains groupes malveillants s’organisent pour mener des opérations de cyber-harcèlement, les associations doivent s’organiser elles aussi, notamment en dehors des réseaux sociaux (via par exemple des forums, l’application Discord ou des messageries fermées comme Signal, Télégram ou encore Whatsapp), pour mieux faire passer leurs messages et assurer une riposte contre les messages haineux.

Des ateliers pratiques : penser et déployer sa campagne sur internet.

L’après-midi a été en partie consacré à deux ateliers pratiques. L’un sur la manière de penser une stratégie digitale pour faire avancer sa cause, et l’autre sur l’art du « storytelling », c’est-à-dire la manière de raconter l’histoire qui touchera les bonnes cibles. Animé par Jean-Baptiste Paulhet, directeur de GoFundMe et Benjamin Sourice de VoxPublic, les participants ont pu confronter leurs projets et solliciter des solutions lors de l’atelier sur les bonnes pratiques en matière de stratégie digitale.

JB Paulhet a rappelé ainsi qu’ «  une bonne campagne peut se décliner en quatre éléments clefs : bien définir le problème ; amener une solution ; assurer un bon storytelling ; et enfin donner un sens de l’urgence, en définissant des échéances claires afin de faire bouger maintenant et pas demain. » Qu’il s’agisse de pétitions ou de campagnes de financement participatif (« crowdfunding »), il rappelait qu’ «  une campagne se lance sur une histoire et des choses très concrètes qui répondent à des besoins réels ».

Quant aux apports du numérique, une participante a pu expliquer comment, sur sa commune du 93, des parents d’élèves ont mené avec succès une campagne pour introduire une alternative végétarienne dans les menus scolaires en collectant des données sur plusieurs écoles de la commune et en réalisant un sondage à partir d’une application codée par un père informaticien. Ces données solides et vérifiables ont permis de démontrer que plus de 90 % des quelques 200 parents interrogés étaient favorables au menu végétarien, ce qui a renforcé la légitimité de la demande auprès du maire et permis sa mise en place plusieurs fois par semaine.

L’atelier Storytelling animé par Nadia Henni-Moulaï et David Cadasse

Dans un atelier sur le storytelling ou l’art de raconter sa cause, David Cadasse et Nadia Henni-Moulaï ont donné quelques bons tuyaux et réflexions sur le sujet. La base de toute la réflexion reposait sur cette question centrale : « comment ma cause peut trouver le bon angle pour intéresser un maximum de personnes  » Un bon système consiste souvent à partir de l’histoire d’une personne, d’un cas particulier, et raconter son histoire pour amener ensuite les revendications portées par l’association. Cela rend les choses à la fois concrètes et plus empathiques. «  Quand on rédige sur internet, aujourd’hui, il faut être pragmatique. Il ne faut pas chercher le lyrisme, mais l’efficacité, pour être correctement référencé, et donc bien trouvé » soulignait à juste titre David Cadasse. D’après ce dernier, «  il y a aujourd’hui une inversion du rapport à l’image . Avant, on mettait une photo pour illustrer un texte, mais maintenant, quand on veut faire passer un message, on le colle sur une photo. Quand on comprend cette inversion du rapport à l’image, on comprend qu’on a pas besoin de bien écrire pour bien communiquer, et que le rapport à l’image est primordial ! »

Face aux questionnements de certain.e.s participant.e.s sur la pertinence de dépenser du temps, de l’argent et de l’énergie sur des stratégies numériques dont ils ne maîtrisent pas tous les codes, Benjamin Sourice de VoxPublic a rappelé qu’ «  il est important de garder en tête qu’il n’y a pas de déconnexion entre la vie numérique et la vie réelle. Le numérique est un outil au service d’une cause, mais il ne doit pas en être l’alpha et l’oméga. Il est donc indispensable de penser la bataille que l’on mène, avec le numérique, certes, mais également en dehors. Il faut se demander ce que le numérique peut apporter à notre cause, sans pour autant tout miser dessus, mais aujourd’hui, s’en passer serait une erreur et un handicap. Par ailleurs, il y a plein de jeunes qui maîtrisent très bien tout cela, c’est aussi une façon de les intégrer aux luttes menées. »

Vers un hackathon #AssoTech ?

En conclusion de la journée, un dialogue privilégié - avec deux élus du département, Patrick Braouezec, président de Plaine Commune, et Yohann Elice, conseiller municipal à la Courneuve - a permis aux participant.e.s de poser directement les questions qui les préoccupent. Ce fut l’occasion de discuter de l’implication des pouvoirs publics et des élus locaux dans la promotion de l’accessibilité et de l’éducation au numérique pour les habitants des quartiers populaires.

Discussion avec les élus P. Braouezec (à gauche) et Y. Elice (au centre)

Le risque d’un renforcement des inégalités était bien perçu par M. Braouezec qui soulignait le risque de voir les outils numériques participatifs rester dans les mains d’une minorité faute d’éducation au numérique : « Sur la plateforme numérique mis en place pour discuter du budget participatif, nous nous sommes aperçus que 60 % des répondants étaient des cadres alors qu’ils ne représentent que 10 % des habitants.  »

Après cette deuxième édition , une nouvelle journée est déjà en maturation sur un format plus orienté encore vers l’accompagnement concret de campagnes et projets, peut-être sous la forme d’un hackathon #Assotech, pour aider des associations à intégrer concrètement les outils numériques dans leurs stratégies.

Pour tout renseignement, vous pouvez contacter Erika Campelo à erika.campelo[arobase]voxpublic.org

Découvrez cette riche journée en images :

Documents à télécharger